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Les EHPAD face à l’épidémie de COVID-19 – Interview #2

Gregory Cousyn

June 17, 2020

Temps de lecture :

8 minutes

Les EHPAD face à l’épidémie de COVID-19 – Interview #2
Médico-social / Social

Les nombreux cas et décès en EHPAD font la une des médias. Quand certains en prennent pour leur grade, d’autres sont montrés comme exemplaires.
Nous avons souhaité partir à la rencontre de ces soignants, agents hôteliers et logisticiens qui font face au COVID-19. Au travers de 3 interviews, nous nous intéressons aux mesures mises en place et à la vie en EHPAD dans cette période inédite. Concrètement, personnels et résidents, comment ont-ils vécu et vivent-ils encore aujourd’hui l’épidémie de coronavirus ?

Pour cette 2nd interview, cap vers un EHPAD de 62 résidents en Hauts-de-France, dont 12 sont en unité de vie protégée.Tout comme
lors de notre 1ère interview, la directrice nous raconte l’organisation déployée pour faire face au COVID-19 et protéger les résidents.

Quelle est la situation actuelle dans votre EHPAD ?

Nous n’avons eu aucun cas de COVID-19. Même s’il y a eu une suspicion, suite à la réalisation d’un scanner. L’ARS nous alors demandé de tester les collaborateurs et les résidents, pendant 3 jours.

Cela fait 2 semaines que nous avons commencé le déconfinement. Mais, on s’est vite rendu compte que ça allait être plus difficile que prévu pour les résidents. En effet, leur vie sociale a été presque coupée durant le confinement ; ça a été très compliqué pour certains de ne plus voir les autres et leurs familles. Leurs habitudes ont été bousculées et les activités ont été réduites. Cela a provoqué une petite dépression chez certains d’entre eux, voire un syndrome de glissement.

Nous avons alors progressivement créé des « hameaux de vie ». Par petits groupes, les résidents prennent leurs repas ensemble et participent aux activités. Le personnel est également dispatché dans ces hameaux de vie.
Nous évitons qu’ils se croisent tous, personnes âgées comme membres du personnel.

Les visites sont uniquement sur rendez-vous. En moyenne, un résident peut voir sa famille une fois tous les 15 jours.
Seulement 2 personnes de la famille peuvent venir, pour chaque résident. Lorsque le temps le permet, la famille peut rencontrer son proche à l’extérieur, et là, on tolère une ou 2 personnes de plus.
Nous avons mis en place un « parcours » de visite : la famille rentre par une entrée dédiée, le proche par une autre, et nous leur rappelons les gestes barrières. Il n’y a pas de croisements possibles avec les autres résidents, ni avec le personnel.
Une grande table fait figure de distanciation. Ce n’est pas l’idéal mais c’est la seule solution possible pour permettre aux familles de se revoir, tout en protégeant le résident.
Par contre, en cas de fin de vie, la famille peut aller en chambre, accompagnée d’un membre du personnel.

Nous espérons prochainement créer des espaces dédiés pour que les familles puissent prendre leur repas ensemble.

Quelles mesures ont été prises pour éviter la propagation du COVID-19 ?

L’EHPAD a été fermé assez rapidement, suite aux consignes gouvernementales.
Mais, on limitait déjà le temps de visite avant. Pour chaque visiteur, nous prenions la température et nous leur demandions de remplir un questionnaire.

Cependant, pendant le confinement, de rares visites étaient autorisées en extérieur, quand on sentait que le résident en avait vraiment besoin.

Nous avons arrêté les interventions extérieures (kinésithérapie, gym douce, interventions des médecins traitants). Néanmoins, alors que le médecin coordinateur était à mi-temps, nous avons pu compter sur son soutien en temps plein.
Mais, nous nous sommes vite rendu compte qu’il était impensable d’arrêter la kiné pour certains résidents. D’autant plus que le périmètre de marche avait drastiquement diminué.

Outre le médecin coordinateur, nous avons augmenté aussi certains ETP :

  • la logistique, pour renforcer la désinfection,
  • l’animation, pour maintenir des activités en petits groupes ou de façon individuelle,
  • le temps infirmier et aide-soignant, pour réaliser les soins en chambre, prendre la température 2 fois par jour, surveiller l’apparition éventuelle de symptômes du COVID-19, et pour stimuler les résidents lors des repas.

Au total, ce sont 4 ETP supplémentaires.
En parallèle, nous avons créé un espace COVID-19 dans l’EHPAD, au cas où. Équipé de lits et du matériel nécessaire pour assurer les soins, si l’hôpital ne pouvait pas prendre en charge la personne symptomatique.
De plus, nous n’avons eu aucune nouvelle entrée, et notre activité a diminué.
Tout cela a un coût, que nous avons absorbé. À ce jour, nous n’avons pas eu d’aide financière de l’ARS ou du département. Ils vont certainement privilégier les EHPAD touchés par le COVID-19.

Côté équipements, comme pour beaucoup, nous n’avions pas assez de masques au début. Nous n’avons pas pu équiper le personnel, même 3 à 4 semaines après l’annonce du confinement. Alors, nous avons été très vigilants sur la désinfection des mains. Puis, lorsque le ministère a débloqué les fonds, nous avons eu une dotation en masques de l’ARS toutes les semaines.

Comment les résidents vivent-ils cette situation ?

Ça a été très dur pour eux. Quasiment du jour au lendemain, ils ne pouvaient plus voir les autres résidents ni leur famille. Leurs habitudes ont été bousculées, leur monde s’est effondré. Ils ont eu du mal à comprendre les mesures prises au début. Et, comme ils aimaient à le répéter, « ce n’est pas à notre âge qu’on va nous embêter avec ça ! ».

Mais, nous avons maintenu les activités et repas en petits comités de 4-5 personnes, selon leurs affinités.
Le personnel a été très présent. Je pense que ça les a rapprochés, qu’un lien plus fort s’est tissé entre eux.

Aussi, la chance qu’ils ont eue, par rapport à d’autres EHPAD, si on peut appeler cela comme ça, c’est d’être dans des chambres de 33m2. Notre établissement est en effet un ancien foyer-logement transformé il y a quelques années en EHPAD.

Nous avons tenu à ce que la vie ici soit la même qu’à l’extérieur : nous avons sensibilisé les résidents aux mesures barrière et nous leur avons distribué des masques en tissu. Pour nous c’était important qu’ils fassent comme tout le monde.

Les familles ont-elles acceptées ces mesures ?

Je crois qu’il y a 2 types de familles :

  • Celle qui comprend, accepte et qui est aidante,
  • Celle qui ne comprend pas pourquoi elle ne peut plus voir son proche, qui se sent privée de ses libertés.

Nous pouvons le comprendre, ce n’est pas une situation facile. Mais c’est une minorité de familles, et plusieurs d’entre elles ont basculé progressivement dans la 1ère catégorie.

Chaque fois que nous avons pris une décision, nous avons pris le temps de mesurer le risque et le bénéfice. En nous demandant : quel est le plus important pour le résident ?

De plus, pour maintenir un minimum le lien entre les familles et leur proche, nous avons organisés des appels en vidéo (de façon individuelle bien sûr).
Famileo, une application qui permet aux personnes âgées de recevoir des nouvelles de leur entourage sous forme de magazine papier, nous a aussi été d’une grande aide.

Et comment les membres du personnel font face à l’épidémie de COVID-19 ?

On a la chance d’avoir une équipe compréhensive, alors que le changement d’organisation était monnaie courante. Nous les avons inclus dans chaque étape, en faisant preuve de beaucoup de pédagogie.

Au début, il y a eu une incompréhension vis-à-vis des masques. Pourquoi ne pouvions-nous pas en porter ? Pourquoi manquions-nous d’équipements ? Mais nous étions bloqués, nous attendions la livraison de masques du Ministère.
Alors, nous avons renforcé les mesures désinfection des mains, et avons appliqué la distanciation physique entre les salariés.
Aussi, nous avons mis en place la prise de température lors de chaque prise de poste.

Pour tous, c’est un stress constant. Nous espérons que le COVID-19 n’entre pas dans l’EHPAD, sinon les répercussions humaines seraient catastrophiques.
Les points réguliers et les informations délivrées par le médecin coordinateur ont rassuré le personnel. Ils ont été force de proposition, ils le sont encore aujourd’hui.

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Qu’est-ce qui a changé dans votre EHPAD ? Et finalement qui le restera après cette crise ?

Nos métiers ont changé. Nous avons mis de côté la réglementation, les réunions et les reportings avec les partenaires, qui prenaient beaucoup de temps, pour revenir à l’essentiel : le résident. Nous nous sommes recentrés sur son besoin, sur son bien-être.
L’équipe administrative de l’EHPAD est d’ailleurs beaucoup plus sur le terrain, plus en lien avec les résidents.
Je crois que ça nous a tous conforté dans notre boulot.

Les collaborateurs sont d’une grande force de proposition. Des petits groupes ont été mis en place pour améliorer l’organisation et échanger entre eux. Ils sont beaucoup plus associés aux prises de décisions qu’avant. Et ça le restera sûrement.

De plus, nous avons mis en place des temps de convivialité, pour laisser de côté le COVID-19.
Entre membres du personnel, des petits déjeuners réguliers nous permettent de décompresser, en musique.
Tous les mercredis, c’est crêpes party avec les résidents. On s’autorise à mettre la musique, à chanter, à danser dans les couloirs.

C’est en ces temps difficiles que l’on se rend compte qu’on peut vraiment compter les uns sur les autres. L’équipe est encore plus soudée qu’avant.

Comment voyez-vous la suite ?

Nous avons noué de nouvelles relations avec l’ARS et le Conseil Départemental. Ils sont plus réactifs, plus proactifs. Mais nous n’avons pas encore de visibilité sur l’évolution de la situation et sur une aide financière éventuelle. La prime et la revalorisation des salaires promise sont aussi encore floues.

Je pense que nous allons maintenir les prises de rendez-vous pour les visites pendant un petit moment encore. Rétablir des temps de visite comme avant, c’est encore trop risqué aujourd’hui : les gestes barrières seront-ils respectés une fois la porte de la chambre fermée ?

Aussi, nous avons vraiment changé notre façon de travailler. Ce n’est pas une option : nous devons apprendre à travailler autrement.
Je pense que ce sera fini les EHPAD avec les grandes salles de restaurants tous ensemble. Ce sera plutôt des espaces de vie, plus intimes, à taille humaine, avec des équipes dédiées.
Il faut garder cette solidarité qu’on a pu recevoir, et cette solidarité qui s’est développée au sein de l’équipe. Il est nécessaire de revaloriser les métiers, et de sortir d’une image négative des EHPAD.

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À propos de l’auteur

Gregory Cousyn

Grégory occupe le poste de Head of Customer Care & Quality chez Qualineo. Son parcours : ancien infirmier diplômé d’état ayant travaillé pour le Ministère des Armées, Grégory Cousyn intègre un établissement de santé où il occupait un poste de direction. Son expérience s’articule autour de l’optimisation des organisations pour développer les performances et l’activité d’un établissement, l’appui à la stratégie et la gestion de projets.