Quelle est la responsabilité juridique des ESSMS lorsqu’il s’agit, au quotidien, de concilier la protection des personnes vulnérables avec le respect de leurs libertés individuelles ?
Les ESSMS, qui accompagnent des publics fragilisés, doivent relever le défi constant de protéger la sécurité des personnes accompagnées tout en respectant leurs droits fondamentaux.
Comment procéder pour éviter que la surveillance nécessaire ne se transforme en atteinte à leurs libertés individuelles ?
Cet article s’appuie sur l’intervention d’Anne-Sophie Moutier, (juriste spécialisée en droit de la santé et médicosocial), lors de notre webinar sur la liberté d’aller et venir.
Il explore les contours de cette responsabilité et propose des solutions pratiques pour gérer, au quotidien, cet équilibre délicat.
— Pour aller plus loin :
Responsabilité juridique des ESSMS : une responsabilité multiforme
La responsabilité des ESSMS peut être de plusieurs natures, chacune correspondant à des situations spécifiques :
Responsabilité civile des ESSMS
Elle engage l’établissement en cas de dommage causé à autrui par une faute, une négligence ou un défaut de surveillance.
Les sanctions consistent principalement en l’obligation de réparer le préjudice par le versement de dommages-intérêts.
Par exemple, des établissements ont été condamnés pour défaut de surveillance entraînant des accidents graves, tels que l’asphyxie d’un résident sous contention mal surveillée.
Responsabilité pénale des ESSMS
L’établissement ou ses employés peuvent être poursuivis pour des infractions à la loi, telles que la séquestration ou la mise en danger de la vie d’autrui.
Les sanctions pénales incluent :
- Des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 20 ans pour séquestration arbitraire (articles 224-1 et 224-2 du Code pénal).
- Des amendes pouvant atteindre 150 000 € pour violences volontaires sur une personne vulnérable, selon la gravité des blessures (article 222-14 du Code pénal).
- Une interdiction temporaire ou définitive d’exercer pour les responsables en cas de condamnation grave.
Responsabilité disciplinaire des professionnels de santé
Elle concerne les professionnels de santé en cas de manquement à leurs obligations déontologiques.
Les sanctions disciplinaires, prononcées par les ordres professionnels, peuvent inclure :
- L’avertissement ou le blâme.
- L’interdiction temporaire d’exercer, avec ou sans sursis, pour une durée maximale de trois ans.
- La radiation du tableau de l’ordre, interdisant définitivement l’exercice de la profession.
- Une injonction de suivre une formation en cas d’insuffisance professionnelle.
Responsabilité administrative des ESSMS
Les ESSMS doivent rendre des comptes aux autorités sanitaires (ARS) en cas de maltraitance ou de non-conformité aux normes réglementaires.
Les sanctions administratives peuvent inclure :
- Des amendes allant jusqu’à 15 000 €, comme prévu par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (Loi ASV du 28 décembre 2015).
- La fermeture temporaire ou définitive de l’établissement en cas de mise en danger avérée des résidents.
- Des injonctions de mise en conformité sous peine de sanctions financières ou de suspension des autorisations de fonctionnement.
Sécurité et liberté des personnes : une double obligation des ESSMS
Les ESSMS se trouvent au carrefour de deux impératifs légaux majeurs :
1. Garantir la liberté des personnes
Les personnes accueillies, bien que fragilisées, restent des citoyens jouissant de leurs droits fondamentaux, notamment celui d’aller et venir.
Toute restriction arbitraire peut être assimilée à une atteinte à la dignité et donner lieu à des réparations civiles ou pénales.
2. Assurer la sécurité des personnes
Les juges imposent une obligation de surveillance accrue pour protéger les résidents contre les risques spécifiques, tels que les chutes, fugues ou suicides.
Cependant, les outils juridiques justifiant le recours à la contrainte sont limités pour les ESSMS, contrairement aux établissements psychiatriques.
Autonomie et sécurité en ESSMS : un équilibre délicat
Les ESSMS doivent naviguer dans un cadre juridique où les responsabilités sont renforcées, notamment depuis la jurisprudence Blieck de 1991.
L'arrêt Blieck du 29 mars 1991 établit un régime de responsabilité de plein droit pour les dommages causés par des résidents (par exemple), à moins que l’établissement ne prouve une force majeure ou une faute de la victime.
Ce régime pousse les gestionnaires à prendre des mesures parfois restrictives pour éviter des litiges, au risque d’empiéter sur les libertés des personnes accompagnées.